D’une rive à l’autre

Le devoir de devenir

Déprimer

Le mot latin deprimere vient dire assez exactement ce dont il est question dans la question clinique de la dépression: peser de haut en bas. Le mot dépression (depressio) vient renforcer l’observation par la notion d’enfoncement.

L’étymologie éclaire parfois plus que les soit-disant spécialistes. Ce samedi, France Culture diffusait une émission de Olivier Lyon-Caen sur « La dépression nerveuse ». Le « spécialiste » invité était Daniel Widlocher (psychiatre et Président de l’Association Psychanalytique de France). La phénoménologie élémentaire de Daniel Widlocher présentait quelques traits saillants de la dépression: sensation de fatigue, sensation de chute, asthénie, tristesse, lourdeur, perte d’énergie, inhibitions … Mais, à aucun moment, cette phénoménologie élémentaire n’articulait une structure – ce qu’on aurait pu attendre d’un psychanalyste qui cherche, un tant soit peu, à penser l’impensé du Réel.

Une structure spatiale se dégage par la verticale du haut et du bas – la perturbation d’un certain équilibre psychique entre le haut (sommet de l’exaltation maniaque) et le bas (chute dépressive sans frein) semble réduire, parfois quasi totalement, la mobilité du corps sur le plan horizontal. Lorsque le fond du plan horizontal de l’être cède, une chute vers le sans fond s’amorce.

La question pourrait se poser ainsi à tout être dit normal (soit un normopathe pour rester dans la nosographie des pathologies): Qu’est ce qui fait que je ne chute pas? C’est une question qui peut se poser à nous lorsque nous sommes en présence d’un « clochard », d’un qui se montre innommable, agressivement et sans pudeur, par la chute dans un corps devenu repoussant. Quelle énergie mystérieuse nous maintient dans le maintien de la station de l’être-là, présent là où il est?

L’un des commandements des dix commandements a prêté et prête encore au malentendu par une traduction fautive: Tu aimeras tes parents. Le texte hébreu ne dit rien de cela, il dit qu’il s’agit de donner du poids à l’ascendance. Le poids prend donc ici une intensité quasi énergétique qui se rapporte au Père de la création. Le juste poids de l’être est donné par le Père, par la fonction signifiante du Nom du Père. L’expulsion du Nom dans le Dehors de l’être est une chute dans l’innommable, chute d’un signifiant primordial dans le Réel inaccessible. Structure qui éclaire quelque peu la notion psychanalytique de forclusion. Le mot forclusion vient dire qu’il n’y a pas de retour possible – ce qui trace un avenir assez sombre pour le déprimé et confirme le fait que l’on ne peut « soigner » une véritable dépression. Mais il est néanmoins possible de soutenir le déprimé dans un se-tenir, par un processus d’humanisation permanent.

août 11, 2007 Posted by | Pathologie | Laisser un commentaire

La mort nous veut du bien …

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 Arnold Böcklin – Selbstbilnis mit fiedeln dem Tod – Nationalgalerie Berlin

L’imaginaire de la mort, et de son crin-crin, du peintre Arnold Böcklin reste assez simpliste et conventionnel mais la musique vivante de la mort dans l’acte créatif est une bonne vision.

Entendre la mort n’est plus, depuis la destruction des juifs d’Europe, une possibilité actuelle en Europe. Même l’oreille du psychanalyste n’y entend, le plus souvent, rien.

août 11, 2007 Posted by | Mort vivante | Laisser un commentaire

Ce que voile la beauté …

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 Arnold Böcklin-Die Toteninsel

Si l’on écarte le fatras des commentaires et des critiques de la culture politique (romantisme de pacotille sur la mort), il est parfois possible de saisir, à nouveau, l’intuition d’un créateur de formes.

 La beauté est le dernier barrage du plaisir contre l’infini de la mer. Franchir la limite c’est s’exposer à la jouissance mortelle – substance sans bornes qui trouve, parfois, une forme.

août 11, 2007 Posted by | Jouissance | Laisser un commentaire

La jouissance de la puissance

« Dolce vita au Lac Majeur » est un documentaire de Eva Gerberding et André Schäfer diffusé par ARTE vendredi 10 août. Documentaire qui n’est pas sans intérêt à propos de ce qu’habiter veut dire.

 Les ingrédients de la dégradation humaine sont toujours les mêmes: un lieu dit « magique » – beauté des paysages, douceur du climat, population travailleuse et puritaine, « vie » peu chère, des riches qui ne paient pas le travail et des artistes prêts à faire le spectacle des saltimbanques de la « vraie vie ».

La jouissance des riches et des puissants n’est jamais surprenante, ils imitent, en formes dégradées, les anciennes cours féodales et royales: dépenser, non pas fastueusement mais en petites jouissances privées (ce qui distingue les parvenus des aristocrates), ce qu’ils ont accumulé sur le travail esclave. Le spectacle de cette fausse dépense est consternant d’ennui et assez répugnant.

 Le bout de la dégradation, soit le tourisme de masse, s’articule sur le mythe du lieu « magique » de la beauté et de la richesse. Il faut voir et revoir d’Ascona à Locarno, avec l’oeil de l’ethnologue, quelques vieilles ruines humaines parlant avec nostalgie du temps bénit des riches entre eux.

La puissance de l’avoir est une impuissance réelle, elle n’est pas la potentialité de l’être. La « vraie vie » est une création métaphorique d’un poète, d’un potent.
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Isles Brissago-Ascona

août 11, 2007 Posted by | Jouissance | Laisser un commentaire